« Au
Mali, les menaces d’intervention américano-françaises [visent] à
profiter de la déliquescence [de l'Etat] sous domination continue depuis
les indépendances [afin de] réintroduire directement une présence
militaire camouflée derrière des armées locales dont nul n’ignore
l’insigne faiblesse».
L’écoute attentive du discours des deux
candidats à la présidence des Etats-Unis a confirmé l’orientation
stratégique de déclencher une nouvelle guerre, aux conséquences
totalement imprévisibles, contre l’Iran. Dans ce but, l’establishment
américain et ses médias n’hésitent pas à instiller l’idée que ce pays
est sur le point de finaliser la bombe nucléaire. Dès lors serait un
danger pour l’ensemble du monde mais particulièrement pour l’Etat
d’Israël, dernier rempart moyen-oriental d’un Occident dont l’influence
se contracte irrésistiblement et dont le modèle libéral est entré dans
une crise terminale.
Les Etats-Unis se posent en gardien de
la paix et de la sécurité internationales. Ainsi qu’on a pu le voir en
Irak où leur intervention a été imposée à la communauté internationale
par le mensonge, en Afghanistan où celle-ci a été justifiée au nom de la
démocratie et contre la situation faite aux femmes, les Etats-Unis ont
bien l’intention d’attaquer l’Iran dès que leur calendrier sera en
cohérence avec celui de l’Etat d’Israël. Mais, entretemps, Washington ne
perd pas de vue son objectif principal: contrer la progression globale
de la Chine dans la grande guerre pour les ressources de la planète. Et
dans ce conflit encore feutré mais qui pourrait se transformer en guerre
chaude, l’Afrique est le continent de tous les enjeux. Le rapport «Horizons stratégiques» publié par le Ministère français de la Défense, avril 2012, anticipe cette éventualité et s’inquiète du face-à-face Chine-Etats-Unis: « enfin,
sans conduire à une logique bipolaire, le format de la relation
sino-américaine devient, qu’on le souhaite ou non, l’enjeu de la
gouvernance de demain ».
C’est bien sous cet angle que doit être
évaluée la situation du Mali et les menaces d’intervention
américano-françaises. Il s’agit de profiter de la déliquescence d’Etats
sous domination continue depuis les indépendances pour réintroduire
directement une présence militaire camouflée derrière des armées locales
dont nul n’ignore l’insigne faiblesse. Dans ce jeu géostratégique, le
Mali devient otage d’une volonté des Etats impérialistes et de leurs
soutiens. Ceux-ci souhaitent porter partout la guerre sans fin, de façon
à interdire la progression d’une puissance adverse et, dans le même
mouvement, d’éradiquer toute volonté des peuples à résister à l’ordre
ultralibéral mondialisé construit sur la financiarisation et la
militarisation. En répondant à l’appel à l’aide de son allié français
désormais incapable, à lui seul, de gérer son pré carré africain, les
Etats-Unis démontrent leur sens de l’opportunisme. La présence
américaine dans le Sahel permet de contrôler directement l’accès à des
ressources essentielles, l’uranium notamment, et de conférer une
profondeur stratégique à leur action sur le continent et au
Moyen-Orient.
Les Etats-Unis et Africom
La première étape pour les Etats-Unis
qui avaient compris que l’ancienne puissance coloniale de l’Afrique
francophone, la France, n’avait plus les moyens de jouer le rôle de
soutien et de protecteur effectif des transnationales implantées pour
capter les ressources naturelles indispensables à leur domination
économique, était d’implanter des bases Africom.
Il y a six ans, les Etats-Unis, par le biais d’Africom, ont décidé d’un
cadre militaire spécifique au continent afin de faciliter sa mise sous
tutelle. Les Etats-Unis ont étoffé leur présence militaire, notamment
par des bases plus ou moins secrètes sur l’ensemble du continent. C’est
ainsi qu’Africom a commencé son installation au Mali par des programmes
de formation à l’intention de quelque 6 000 soldats de l’arméemalienne, dans l’incapacité de contrôler le territoire parce qu’insuffisamment formés et armés.
Sous couvert d’une opération «Creek
Sand», des militaires et des entrepreneurs américains sont arrivés au
Mali pour des missions de renseignement. Par ailleurs, dès 2009, le Pentagone avait envisagé l’intégration dans l’armée malienne de commandos américains mais
aussi le survol du territoire par des avions de surveillance
ressemblant à des avions de transport civil, mais cela a été abandonné.
Enfin au moins partiellement[4], puisqu’en
avril dernier, six personnes, dont trois soldats américains accompagnés
de trois ressortissantes marocaines, ont trouvé la mort à Bamako
lorsque leur 4×4 a plongé dans le fleuve Niger. Que faisaient-ils
là ? Officiellement, les Etats-Unis avaient annoncé avoir suspendu
toutes relations miliaires avec le gouvernement malien, à la suite du
coup d’Etat du mois de mars.
Cet accident semble fortement confirmer
le contraire: au nord Mali, des unités d’élite, investies secrètement
dans des actions de contre-terrorisme visant officieusement Aqmi, étaient bien présentes et le sont probablement encore.
Une intervention militaire au Mali
La seconde étape consiste à préparer l’opinion publique internationale à une intervention au nord Mali au nom de la démocratie et de l’ordre constitutionnel, du patrimoine culturel mondial mis en péril par des terroriste islamistes et
de la souffrance des populations, qui, rappelons-le, paient le prix
fort de tout conflit interne ou importé par ceux qui veulent imposer
leur loi. Ces raisons méritent questionnement.
Sont à la fois mis en avant la situation
humanitaire des populations du nord et du sud mais ne peut être omis
que de nombreux partenaires, dont l’Union européenne,
les Etats-Unis, la Belgique, le Canada, la France (1) et des
institutions financières ont décidé, au lendemain du coup d’Etat, de
suspendre leurs aides au Mali, précipitant l’ensemble de la société
malienne dans une pauvreté encore plus grande; cet «embargo» financier a
été renforcé par un «embargo» politique. L’Organisation internationale
de la Francophonie (2) a suspendu le Mali dès le 30 mars; l’Union Africaine (3)dès le 23 mars et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao)
dès le 27 mars. Il aura fallu la quasi-certitude d’une intervention
militaire pour que certaines instances reviennent sur leur décision de
bannir le Mali de leur communauté internationale.
Le Président Hollande, quant à lui,
revendique son droit à délivrer les otages –cela semble compter bien
peu- mais surtout à protéger les intérêts français. Pour mieux faire
accepter une intervention militaire, il cache des intentions
néocoloniales partagées derrière le besoin d’une intervention pour « éradiquer le terrorisme dans l’intérêt de ce pays, de l’Afrique et de la stabilité du monde».
Certes, l’Islam radical –désigné globalement et sous nuances par le
terme « terrorisme » pour conditionner l’opinion– dispose de bases dans
le Sahel, sur les routes du pétrole, du gaz et de l’uranium, mais ne
soyons pas naïfs, son émergence et sa consolidation ont bien été
favorisées –notamment par les Saoudiens et les Qataris- pour servir les
intérêts des Occidentaux et particulièrement ceux des Américains. Cette
consolidation des positions des fondamentalistes correspond au vide
institutionnel que l’Etat malien déliquescent a laissé s’installer dans
la région. Les Jihadistes font la loi et assurent une sorte de service
public (par la distribution d’eau, de vivres et de médicaments) là où
des potentats disposaient de manière régalienne du réel pouvoir d’Etat.
La lutte contre le terrorisme est l’argument rhétorique pour justifier
la mise sous tutelle du Mali et faire main basse sur les ressources
naturelles de cette région du monde dont les multinationales veulent
s’arroger le monopole. On ne peut, bien sûr, ignorer que nombre de
citoyennes et de citoyens maliens souhaitent, eux aussi, la fin de
l’Islam radical et des exactions qui l’accompagnent sur leur territoire.
Les Maliens, dans leur ensemble,
désirent vivre en assumant leur droit à l’autodétermination, leur droit à
disposer pleinement de leurs ressources naturelles et leur droit à
choisir librement leur représentation politique sans qu’un pays, ancien
ou futur colonisateur, vienne leur dire ce qui est bon pour eux, au nom
de la « responsabilité de protéger » et/ou la démocratie mais surtout au nom de la lutte contre le terrorisme.
Le Président français n’hésite pas, pour
se doter d’une « légitimité » moins discutable et pour convaincre les
derniers récalcitrants, à affirmer qu’il s’agit de « casser un processus fondé sur le trafic de drogue, d’armes, d’êtres humains qui risque de déstabiliser l’ensemble de la région (…) ». Mais qui contrôle et à qui profite exactement le trafic de drogue, d’armes et d’êtres humains?
Le Mali ne possède pas d’armes de
destruction massive mais sur son territoire se retrouvent tous les
ingrédients pour que les Occidentaux s’autorisent à intervenir au nom de
ce qu’ils considèrent comme leur mission depuis l’époque où ils ont
foulé, pour la première fois, d’autres terres que les leurs. Leur
mission imprescriptible et immuable est de « sauver leur monde »; la
lutte de la Civilisation (ou de l’Axe du Bien) contre le terrorisme est
une des nouvelles dénominations du crédo impérialiste. Et comme le veut
l’usage, le moyen d’imposer les lumières et la Civilisation, par
essence, est la guerre…
Le rapport «Horizons stratégiques» permet
de constater que, d’une part, même si le Président de la France change,
les relations coupables de la Françafrique perdurent, le
néocolonialisme vit encore de beaux jours. Une fois élu, rien ne change
alors que le candidat Hollande avait claironné, durant sa campagne,
qu’il allait tout changer. D’autre part, ce rapport pointe un possible
affaiblissement de la sphère occidentale ce qui renforcerait encore plus
le besoin en sécurité globale « dont les Etats-Unis continueraient d’assurer la maîtrise d’ouvrage (…) » avec « la
possible émergence d’un référentiel unique en matière de contrat
opérationnel et, surtout, un processus décisionnel maîtrisé de plus en
plus étroitement par les États-Unis ». En toute objectivité, les rédacteurs du rapport, envisagent qu’« indirectement donc, l’autonomie de nos décisions relatives à notre environnement international de sécurité pourrait être régulièrement mise à l’épreuve d’ici 2040 », particulièrement si « un
retrait de la présence militaire américaine en Europe » n’était « pas
suivi d’une stratégie concertée entre Européens sur les modalités de la
sécurité du continent » ce qui « aurait des effets néfastes pour la
stabilité de la région ».
Construction d’une alliance militaire
Se pose, à l’heure actuelle, la question
des alliances pour mener cette guerre dont les premières victimes
seront les Maliens eux-mêmes, mais aussi les Mauritaniens, les
Nigériens, les Burkinabais, les Algériens avec des conséquences
évidentes pour les Guinéens, les Ivoiriens et les Sénégalais. Autant
dire que toute l’Afrique sahélienne et de l’ouest pourrait s’embraser et
s’enfoncer dans une guerre sans fin à l’instar de celles menées en Irak
et en Afghanistan.
La CEDAO, malgré les orientations
bellicistes qui lui sont dictées par ses mentors parisiens, n’a ni les
moyens humains ni matériels pour mener une intervention lourde et
complexe. Sous forte influence, pour ne pas dire sous la conduite
directe, de l’ex-métropole, elle a donc recherché un soutien extérieur,
obtenu à l’issue du vote à l’unanimité de la Résolution 2071 adoptée par
le Conseil de sécurité, considérant notamment que « la situation au Mali constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales » et qui « se
déclare prêt à donner suite à la demande des autorités de transition
maliennes qu’une force militaire internationale prête son concours aux
forces armées maliennes en vue de la reconquête des régions occupées du
nord du Mali ». Reste à savoir qui participera à cette
force internationale qui à terme devrait, selon les termes du Secrétaire
général des Nations Unies, « élaborer une stratégie globale portant sur les problèmes transfrontaliers du Sahel : les armes, les réfugiés et le terrorisme »?
Afin de délimiter les contours de cette
force, le gouvernement transitoire du Mali a, maintenant un peu moins de
45 jours pour définir, en liaison avec ses partenaires de la CEDAO et
de l’Union africaine,
un « concept d’opération » -conditions concrètes de l’aide extérieure,
modalités du déploiement sur le terrain, forces venant de différents
pays. Ce n’est qu’à l’issue de ces 45 jours, qu’une autre résolution
autorisera le déploiement de la force.
La réunion, tenue dans le cadre du
Conseil européen -18 et 19 octobre à Bruxelles-, semble avoir précisé le
cadre de cette force qui devrait prendre modèle sur l’Amisom- mission
de l’Union africaine en
Somalie- qui, soutenue par l’European Union Training Mission Somalia
-EUTM Somalia- aurait contribué à arrêter les jihadistes Chebabs en
Somalie. Il s’agit là d’une interprétation optimiste. Même si les
Chebabs somaliens sont en recul, la guerre dure en Somalie et la paix
n’est pas à l’ordre du jour, le pays est toujours en état de guerre
civile.
Il est, dès lors, pour le moins curieux
de se revendiquer d’un modèle qui n’a pas fait ses preuves et dont la
fin de la « formation » ne prendra effet qu’en décembre 2012, date à
laquelle près de 3 000 soldats somaliens auront été formés par quelque
675 instructeurs européens.
La mission de formation au Mali (Micema)
compte 3 000 hommes environ. Elle devrait contribuer à la
réorganisation et à l’entraînement des forces de défense maliennes et se
trouver sous mandat de l’Union africaine et de l’ONU. La France,
la Grande-Bretagne et l’Espagne ont accepté d’y participer, l’Italie,
la Belgique aussi, l’Allemagne vient de se décider; seuls la Pologne et
les pays nordiques font encore attendre leur décision.
Mais il est bien évident que la force de la Cedeao avec
ou sans l’appui logistique de l’Otan ne suffira pas. Dans l’appel des
acteurs, sur ce champ martial un des protagonistes essentiels semble
renâcler.
Une inconnue de taille
Il reste en effet une inconnue de taille
et dont dépendent l’entrée et l’issue de cette guerre: l’Algérie
va-t-elle accepter de participer à cette force? Jusqu’à présent, elle a
refusé toute intervention militaire hors de ses frontières. De plus les
Algériens qui connaissent bien la région et les autres acteurs estiment
que 3 000 hommes, dans un théâtre d’opérations de plus de 8 000 km2 et
face à une guérilla déterminée et soutenue par les populations
Touaregs, sont loin de constituer une force suffisante. Il est
indispensable pour les Algériens d’identifier précisément les groupes de
guérilla et d’établir une distinction nette entre subversion jihadiste,
incarnée par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de
l’Ouest (Mujao) et Aqmi, et le groupe militaro-politiques, Ançar Eddine
et le Mouvement national de libération de l’Azawa (Mnla), qui ont un
réel ancrage dans les populations locales. Dans une optique de guerre
indifférenciée, l’adversaire mènera une guerre d’usure qu’il gagnera à
coup sûr contre une formation militaire telle que la pense la Cedeao,
qui ne connaît pas, non plus, le terrain saharien. Les groupes armés
s’appuieront sur la population locale, des Touaregs, pour qui une armée
africaine équivaut à une force d’occupation étrangère. A l’heure
actuelle, l’Algérie, après avoir pondéré son avis, accepterait,
selon le très influent service de renseignement algériens, le
Département du renseignement et de la sécurité (DRS), d’offrir un appui
logistique à la future force africaine d’intervention dans le nord du
Mali.
L’Etat algérien entretient de bons
rapports avec les Etats-Unis mais sait aussi qu’il suscite la convoitise
à cause de ses propres ressources et de sa position géographique qui
ouvre les portes vers le Sahel avec ses richesses énergétiques et son
potentiel souterrain.
L’Algérie se montre hésitante mais il n’échappe à personne que dans la région, c’est le seul Etat, disposant d’une armée puissante
et équipée, capable d’envisager une confrontation de longue haleine
avec les rebelles, même si elle sait que cela reste risqué. Dès lors,
ceux qui s’auto-désignent comme « communauté internationale »,
essentiellement les Occidentaux du G5 (Etats-Unis, Japon,
Grande-Bretagne, Allemagne et France), s’impatientent: au premier chef la France et elle le fait savoir.
La fabrication de l’ennemi de l’intérieur
Pour ne pas être exclue des richesses à
prendre et qu’elle n’a pas su garder mais aussi pour montrer sa
participation active à l’Axe du Bien tel que pensé par George W. Bush,
la France, après avoir œuvré en vue du vote de la résolution 2071, mène,
sur son propre territoire, une guerre multiforme contre les
terroristes, les jihadistes, les islamistesfanatiques,
…, laquelle parfois, à la lumière des « unes » de certains
hebdomadaires, ressemble ni plus ni moins à une guerre contre l’Islam,
prolongement et succédané de la guerre perdue d’Algérie. Une guerre policière mais aussi idéologique, psychologique et très lourdement médiatique.
Dans ce combat oblique où l’ennemi n’est
pas seulement le terroriste armé mais celui qui proclame sa différence,
la République n’hésite pas à recourir à l’arsenal des stigmatisations
néocoloniales et à la diabolisation de l’étranger inassimilable. La
méthode est éprouvée mais la République ne veut pourtant, à aucun titre,
en assumer les origines collaborationnistes et coloniales. La France
des élites laisse (ou pousse) une partie de son opinion dériver vers une
représentation européo-centrée qui désigne l’Autre, l’Etranger en tant
que responsable de l’errance politique des
représentants politiques (y compris ceux au gouvernement), du
délitement de la pensée intellectuelle et d’une crise sociale,
économique et finalement morale et culturelle. Il est aujourd’hui admis
et considéré comme absolument normal de réécrire une « histoire » plus
« politiquement correcte », basée sur une conception raciste ou
ethnoculturelle du monde. Ce prisme réducteur et dangereux est de plus
en plus présent dans le champpolitique.
C’est ainsi que l’on entend les intellectuels organiques du libéralisme
au pouvoir distiller à longueur de colonnes et sur tous les plateaux de
télévision les thématiques de l’arabophobie et de l’islamophobie (5).
Le racisme se fond aujourd’hui dans un ensemble de mécanismes
d’exclusion et d’infériorisation qui semblent fonctionner de manière
autonome, sans que personne n’ait à s’assumer explicitement raciste mais
où tous comprennent le langage le code de l’exclusion. Les
superstructures idéologiques d’Etat nourrissent l’exclusion par des
stigmatisations essentialistes. De « l’homme noir qui n’est pas entré dans l’histoire » à
une laïcité de combat, l’essentialisme est bien l’habit neuf d’un vieux
discours. Les hiérarchies ontologiques visent à différencier
irrémédiablement pour mieux exploiter.
Dans un climat de xénophobie ascendante
et d’émiettement social, le racisme est vécu au quotidien, pèse
fortement sur les constructions identitaires des individus et vient de
manière, ô combien opportune pour le système, transcender les clivages
de la misère et les logiques d’exclusion qui concerne des catégories
croissantes de Français. En ce sens la figure sociale de l’Algérien, en
France ou en Algérie, pour les Français n’a pas changé depuis la colonisation.
On peut affirmer que la raison de ce
racisme tient au fait que ces représentations ont précédé les Français
issus de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, au-delà même de la
période coloniale. C’est ainsi que la reprise du thème du « racisme
anti-blanc » par un parti de droite « républicain » est révélatrice de
l’imprégnation d’un discours essentialiste directement hérité de la
colonisation et de la guerre d’Algérie. On le sait, le soi-disant racisme anti-blanc est la première ligne de défense du racisme réel, celui des colonisateurs et des exploiteurs.
Comment émerger d’un passé traumatique
et visiblement indépassable? La question est d’autant plus complexe
qu’elle renvoie irrésistiblement aux enjeux actuels du débat sur
l’immigration et à l’enracinement dans la société de jeunes Français
issus de minorités « visibles ». C’est sur ce terreau nauséabond que
l’on voit des intellectuels -presque toujours- d’origine algérienne
désignés (6) à la vindicte au prétexte qu’ils feraient l’apologie du
« racisme anti-blanc ». Apparaît dans l’espace politico-social la
désignation de responsables des errances d’une société qui se réveille
chaque jour un peu plus raciste, chauffée à blanc par ses médias engagés
à des degrés divers dans la défense de l’Etat d’Israël et du mouvement
sioniste, reprenant à son compte les délires racistes datant de la lutte
de libération nationale de l’Algérie. Cette accusation n’est pas sans lien avec la guerre programmée au Mali et l’éventuelle agression de l’Iran.
Il s’agit pour ceux qui dominent et qui
veulent pérenniser cette domination au nom des multinationales et des
banques de désigner ceux qui empêcheraient ou leur « paix » et leur
« sécurité internationales » ou leur « cohésion sociale ». Leur volonté
de porter la guerre au Mali, certes au nom de la libération du nord de
forces rétrogrades, ce que désirent de nombreux Maliens, n’est pas sans
lien avec ce que le rapport « Horizons stratégiques » cité plus haut dit
de la peur que suscitent, chez les Occidentaux, la résurgence puissante
du panafricanisme et la volonté de certains Etats africains d’assumer
leur souveraineté sans « tuteurs ». De nombreux intellectuels et
politiques du continent font entendre leur désir d’être débarrassés de
certains des accords bilatéraux qui les maintiennent dans un statut de
soumission –militaires, policiers, économiques ou portant sur les
migrations. Ces revendications successives sont, pour les anciens
colonisateurs, inacceptables. Ce n’est pas pour rien que les vigies
occidentales scrutent avec angoisse les révoltes arabes. Les centres
néocoloniaux craignent bien trop la prise en main du processus de
libération de la dictature par le mouvement social. Outre la fabrication
aéroportée d’une révolution assujettie comme en Libye, les Occidentaux,
forts de leurs relais saoudiens et qataris, poussent leurs pions et
tentent d’influer les luttes internes comme en Tunisie, où certains se
délectent de la montée de l’Islam obscurantiste et des faux débats
autour de valeurs morales qu’il introduit pour détourner les populations
tunisiennes des réalités économiques et politiques de la domination et
de l’exploitation.
Le bombardement envisagé sur l’Iran
procède de la même logique. Il s’agit de mettre à l’index ceux qui
s’opposent à l’ordre du monde impérialiste et de les exclure de la
communauté internationale; tout comme il s’agit d’exclure de la société
ceux qui dénoncent la droitisation de la société française. Il s’agit
pour les dominants d’utiliser des instruments de répression
politico-idéologique et de remise en cause des droits politiques et
civils.
Les Etats-Unis et leurs alliés assument
pleinement la logique du dit « choc des civilisations », entre Etats
mais aussi entre citoyens d’un même pays, en légitimant l’état
d’exception international mis en place par les puissants contre les peuples.
Terrorisme versus paix et sécurité internationales
La plus grande menace à la paix et à la
sécurité internationales se trouve dans la violence des pays
occidentaux, spécialement des Etats-Unis et de leurs alliés européens
qui violent systématiquement le droit international et
la Charte des Nations Unies, sous couvert de lutte contre le
terrorisme, comme c’est le cas en Irak, en Afghanistan, au Soudan, à
Cuba, en Haïti , en Serbie, en Côte d’ivoire et bientôt au Mali.
L’exemple le plus caractéristique est
celui de la Palestine qui, depuis plus de soixante ans, est exilée
–aussi bien sur son territoire qu’à l’international -par
une « communauté internationale »- réduite au G5 occidental: il
maintient l’ensemble des Palestiniens exclus des normes impératives du
droit international et du droit humanitaire international mais aussi du droit à leurs droits.
Cette communauté d’alliés qui, en
protégeant l’Etat israélien et en le laissant commettre des crimes de
guerre, toujours impunis, contribue décisivement à la violation des
normes impératives du droit international et, surtout joue le rôle de
courroie de transmission d’un projet et d’un modèle politique,
idéologique et économique qui vise à l’instauration d’un ordre
international fondé sur la guerre sans fin, la discrimination,
l’apartheid, la force, la domination des peuples et la violence.
Comme cela a été le cas en Libye où
l’intervention de l’Otan a été possible grâce à l’injonction paradoxale
portée par ceux qui ont voté la résolution 1973, ils affirment d’un
côté, « leur ferme attachement à la souveraineté, à
l’indépendance, à l’intégrité territoriale et à l’unité nationale de la
Jamahiriya arabe libyenne » et de l’autre envoient des forces
armées pour obtenir plus rapidement l’assassinat en direct de Kadhafi en
dehors de toute légalité internationale au regard de la Charte des
Nations Unies, laissant le pays dans une situation de grave
déstabilisation.
La vraie menace à la paix internationale
est la pauvreté généralisée des populations du Sud, le pillage de leurs
ressources naturelles par les sociétés
transnationales et les guerres qu’elles déclenchent pour pérenniser
leur hégémonie ou prévenir l’intrusion du nouveau concurrent chinois.
C’est bien dans la réalité de la misère généralisée et organisée par la
mondialisation libérale que peuvent être définis les ressorts profonds
du terrorisme et des idéologies du désespoir. L’impérialisme et ses
relais locaux ont, traditionnellement, utilisé pour leurs propres
aventures et toujours à leur avantage les mouvements fanatiques
apolitiques et les desperados qu’ils subjuguent. Les médias omettent de
le rappeler mais le terrorisme islamiste contemporain est né en
Afghanistan pour contrer l’Union soviétique. Ce terrorisme, financé par
les Saoudiens et soutenu à bout de bras par les Américains et leurs
alliés, a fini par avoir raison de l’armée rouge
et a précipité l’effondrement de l’URSS. On le voit, hier instrument
commode et efficace, le terrorisme islamiste est aujourd’hui un
épouvantail tout aussi opérant. Le terrorisme, conséquence du désespoir
que l’ordre injuste impose aux peuples, est aussi un instrument entre
les mains des architectes de la mondialisation libérale.
Au Mali, en France, aux Etats-Unis mais
aussi dans de nombreux autres pays, le terrorisme islamiste est un
argument fondamental dans la justification des aventures bellicistes de
l’impérialisme et des atteintes aux libertés dans les sociétés
occidentales elles-mêmes. La guerre globale et éternelle contre
l’islamisme alimente un discours raciste qui permet de détourner
l’attention des populations des pays industrialisés confrontées à une
crise économique majeure. La libération de l’impensé raciste occupe une
place centrale dans le discours politique « décomplexé » par temps de chômage généralisé et de creusement sans précédent des inégalités. En Europe comme en Afrique.
Mireille Fanon-Mendes-France
experte à l’ONU et présidente de la Fondation Frantz Fanon.
9 November 2012
(1) Sur le site du MAE, « Depuis le
coup d’Etat du 22 mars, la France a suspendu toutes ses coopérations
régaliennes avec le Mali. Elle maintient son aide en faveur de la
population, en particulier l’aide alimentaire, ainsi que la coopération
en matière de lutte contre le terrorisme. »http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo/mali/la-france-et-le-mali/
(2) Communiqué du 30 mars 2012 dans lequel le Conseil permanent de la Francophoniea décidé « la
suspension de ce pays des instances francophones, y compris la
suspension de la coopération multilatérale francophone à l’exception des
programmes qui bénéficient directement aux populations civiles et de
ceux qui peuvent concourir au retour à l’ordre constitutionnel et au
rétablissement de la démocratie ».
(3) Communiqué du 23 mars dernier
transmis par Paul Lolo, président du Conseil de paix et de sécurité de
l’organisation panafricaine: «Le Conseil a décidé que le Mali
devrait être suspendu sine die de toute nouvelle participation jusqu’au
retour effectif de l’ordre constitutionnel».
(4) Conférence de presse tenue à l’Elysée lors de la venue du Secrétaire général de l’ONU
(5) A ce sujet, lire Thomas Deltombe, L’Islam imaginaire (Editions La Découverte), octobre 2007 et Sébastien Fontennelle et alii, Les Editocrates (Editions La Découverte) 2009
(6) Houria Bouteljda, porte-parole du Parti des Indigènes de la République ;www.indigenes-republique.fr/bloghouria et Saïd Bouamama, sociologue, animateur du Forum de l’Immigration et des Quartiers populaires ; dailynord.fr/2012/10/36389/