vendredi 22 juin 2012

Michel Galy - L'intervention militaire au Mali n'est pas la solution


Enfant ivoirien réfugié au Ghana. Une des conséquences de la "politique" africaine de la France et de l'Occident.

Qu'on publie ses textes, les enregistre et les illustre ou l'interviewe directement, Michel Galy est un habitué du Gri-gri International. Aussi, passé le délai courtois de rigueur, c'est avec grand plaisir que nous reprenons sa tribune parue hier sur le site du quotidien de révérence, Le Monde. (Question : pourquoi ces analyses, rares dans le paysage médiatique français, et d'autant plus précieuses, n'ont-elles pas les honneurs de la publication papier ? Elle ne contredirait pas la diffusion par le web et permettraient aux toujours pas connectés et autres septuagénaires des deux Assemblées d'enfin lire des analyses sérieuses, cohérentes et conséquentes.

Après la Libye au Nord, la Cote d'Ivoire au Sud selon les foucades sarkosystes, le nouveau pouvoir socialiste va-t-il se lancer dans une aventure militaire en envoyant les parachutistes français à Bamako et Tombouctou ? Ou se servir des "supplétifs" de la CEDEAO, sur la requête d'Alassanne Ouattara, le président ivoirien, tout en envoyant les forces spéciales françaises traquer les islamistes et les indépendantistes de l'Azawad, au Nord-Mali ?

Tout cela précédé d'une mise en condition médiatique basée sur l'indignation et peu soucieuse des conséquences géopolitiques, diabolisant certains acteurs locaux et présentant l'intervention militaire comme l'unique solution. Reste à mettreen place un habillage juridique, via l'Union africaine et le Conseil de sécurité des Nations Unies - quitte à violer ou détourner la résolution à venir, certainement prise sous le motif de la"responsabilité de protéger" !

Schéma connu, où la Syrie dispute au Mali le rôle peu enviable de prochain terrain d'intervention. Tout cela pour quoi ? Pour que la presse françafricaine tresse les louanges d'"Hollande l'Africain", revendiquant par un coup de force facile un pouvoir élyséen fort, compensant symboliquement le retrait d'Afghanistan ? Pour conforter le syndicat des chefs d'États africains, inquiétés de voir le général président Amani Toumani Touré renversé et son successeur physiquement agressé ? Pour répondre aux vives inquiétudes des USA dont les pires cauchemars se concrétisent sous la forme d'un nouveau territoire pour un islamisme conquérant s'infiltrant dans tout le Sahara et descendant vers les riches gisements pétroliers du Golfe de Guinée ?

Ce schéma simpliste d'une nouvelle intervention française sur le continent africain mérite d'être éclairé par ses précédents, et évalué par ses conséquences.

S'il y avait une "guerre juste" dans les 50 interventions des corps expéditionnaires français pendant les 50 ans d'"indépendances" cela se saurait ! Que les précédentes soient menées au nom des "intérêts français" ou de la"protection des ressortissants", ou que les bombes à venir aient un habillage juridique et revendiquent la protection d'une démocratie de plus en plus formelle, reconnaissons que pour les pays envahis et les civils sacrifiés, les précautions sémantiques ne font guère de différence...

Au contraire, des historiens analysent ces interventions, dans le droit fil de la politique pré-independances , comme une"guerre à l'Afrique" discontinue, qui depuis 150 ans réprime et normalise, soumet puis contient les populations du continent sur des territoires donnés et selon des modèles politiques contraignants.

Tenir un discours de gauche et mener une politique extérieure qu'on ne peut qualifier que de néocoloniale a un nom, dans l'histoire de la gauche française : le mollétisme. Du nom de triste mémoire de Guy Mollet, hiérarque socialiste qui a réussi le tour de force, en Algérie, d'allier discours marxisant et action coloniale - déjà!

Le gouvernement précédent a de fait encouragé les revendications du MNLA touareg, en lui offrant tribune médiatique et appui diplomatique - ce qui a été vécu à Bamako comme un lâchage, si ce n'est comme une trahison, et qui semble la cause indirecte du putsch de mars dernier par lecapitaine Sanogo.

L'extension de cette nouvelle "guerre nomade" africaine se ferait selon deux axes : Nord-Sud d'abord, non seulement vers Bamako, mais aussi via la CEDEAO, vers des pays comme le Burkina ou la Côte d'Ivoire dont les régimes autoritaires se voient déjà déstabilisés.

L'autre vecteur, plus immédiat et évident, serait la dissémination des "guerriers nomades", d'un coté indépendantistes touaregs, de l'autre djihadistes surarmés, vers les autres pays sahariens ; dans ce cas le Niger aux riches gisements d'uranium serait sans doute le premier visé, mais de la Mauritanie à l'Algérie, du nord Tchad au Sud de la Libye, ou encore le Burkina et le Nigeria, bien peu risquent d'être épargnés !

Le vertige de gouvernance, interventionniste et armé, de la CDEAO, s'il est plutôt risible concernant certains de ses acteurs arrivés au pouvoir par un assassinat politique ou de sanglantes rebellions (dictateurs relevant plus de la CPI que des forums onusiens) a été historiquement catastrophique sur le terrain et tragique dans ses modalités. L'Ecomog, bras armé de l'organisation ouest africaine ,a pillé et tué des civils plus qu'à son tour, au Liberia et en Sierra Leone, au point d'être dans le cas de ce dernier pays considérée comme une des "factions combattantes" par l'ONU !

A la fin du régime français précédent, des stratèges du café de Flore ont été relayés par des machiavels manqués, au Quaid d'Orsay ou à la Défense qui ont voulu "jouer les Touaregs" pour"liquider Aqmi" : on voit ce qu'il en a été ! Et aujourd'hui des membres des services et des milieux d'affaires verraient bien un autre Azawad au nord Niger pour contrôler l'uranium d'Areva à un meilleur prix : qu'importe pour eux que deux Etats sahéliens, déjà minés par un ajustement qui les a laissé exsangues (mais non leurs "élites" corrompues.... ), s'effondrent et déstabilisent les pays limitrophes - au risque, on semble l'oublier, d'un triste sort possible pour les otages d'AQMI.

Dans cette réflexion conséquentialiste - qui aurait due être mise en oeuvre pour la Libye et la Côte d'Ivoire -, le pire serait sans doute une crise humanitaire d'une ampleur inédite : des Etats ne pourraient faire face aux famines, qui déjà structurelles dans la zone toucheraient jusqu'aux capitales.

Faudra t-il appeler à la rescousse les organisations humanitaires au Mali, Burkina, Niger, Algérie Mauritanie, et bien plus loin encore pour gérer les centaines de milliers de réfugiés et déplacés que génère déjà la crise malienne et qui se compteront en millions si ce nouveau conflit gagne une demi douzaine de pays ? Action contre la Faim, par exemple, a mis en garde (cf sur son site son dossier Sahel) contre de terribles risques de famine généralisée que risque de connaître une zone sahélo-sahélienne structurellement fragile. Une main qui tue, l'autre qui soigne : les humanitaires s'épuisent à jouer cette "main gauche de l'Empire", à traiter courageusement les effets pervers d'interventions sur le long terme irresponsables.

Car la guerre a ses logiques propres, qui recomposent rapidement les identités et les territoires. Qui aurait dit il y a seulement un an que le mouvement Ansar el Dine, à l'origine religieux, prendrait le pas sur le MNLA, ou que le mouvementBoko Haram du Nigeria ou des djihadistes pakistanais ou afghans se reterritorialisaient au Sud-Mali !

Des penseurs africains, notamment maliens comme Aminata Traoré, proposent des alternatives : un retrait total des corps expéditionnaires français, des bases et des forces militaires du continent est revendiqué par un mouvement pan-africaniste montant comme par une gauche occidentale encore tiers mondiste.

Quitte à aider à contre attaquer une armée malienne en pleine recomposition, plutôt que des régimes corrompus et des chefs d'État qui ont mis le feu à une partie de l'Afrique. Laissons certaines régulations se faire - ou la guerre au Mali s'étendra au Sahara, et les conséquences de ce nouveau bourbier risqueront d'atteindre l'Europe, demandant une impossible prise de risque des forces françaises, menacées sur d'incontrôlables théâtres d'opérations Qui écoutera un jour les polémologues ? Jouer les Cassandre n'est évidemment pas un exercice très réjouissant, surtout si le rôle doit être réitéré en vain depuis une vingtaine d'années... Avertir des fausses logiques et insister sur les effets pervers ou les catastrophiques conséquences de ses actes un pouvoir politique affolé par les groupes d'intérêts, des médias alarmistes, ou des amateurs de coups tordus est souvent inutile. L'espoir subsiste cependant d'une prise en compte des observations indépendantes, des faiseurs de scénarios pour l'intérêt général ! Utopie de ne plus être - et c'est ici le cas de le dire -, ce que des textes bien plus anciens nomment déjà"vox clamantis in deserto", la voix de celui qui prêche dans le désert. 

Photo - Le Gri-Gri    Texte - Michel Galy, politologue, professeur de géopolitique à l'Ileri, chercheur au Centre d'études sur les conflits.

Michel Galy est l'auteur de "Guerres nomades etsociétés ouest africaines" (L'Harmattan).
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