mercredi 3 juillet 2019

Pensées Osées sur la crise SNECS- GOUVERNEMENT

Les Etablissements Publics à caractère Scientifique Culturel et Technique EPSCT du Niger à, savoir les Universités publiques sont des établissements publics. C’est-à-dire des entités de droit public, autre qu’une collectivité territoriale, dotée de la personnalité juridique et chargée de la gestion d’une activité de service public dans le cadre limité de leur spécialité d’après le Lexique des termes juridiques (2014, p. 403). 

Les statuts de ces établissements disent qu’ils sont placés sous la tutelle du Ministre chargé de l’Enseignement Supérieur. Or la tutelle est un type de contrôle exercé par le pouvoir central de l’Etat sur les personnes morales autres que l’Etat afin de protéger les intérêts de ce dernier (M.-C. Rouault, 2018, p. 118).

Autrement dit un contrôle effectué par l’administration centrale sur les organes décentralisés de l’Etat.  Ils résultent de la décentralisation qui « repose sur la reconnaissance d’intérêts distincts de ceux de l’Etat. Certaines entités territoriales ou certains services reçoivent le droit de gérer, sous la surveillance de l’Etat, leurs propres affaires et sont dotés, à cet effet, de la personnalité juridique, ce qui leur permet de disposer de moyens, notamment financiers et humains, nécessaires à leur gestion. Ils sont gérés par des organes propres, indépendants du pouvoir central, souvent élus ; ont un patrimoine propre, distinct de celui de l’Etat et sont dotés de l’autonomie financière ; enfin, ils gèrent leurs propres affaires, distinctes de celles de l’Etat et des autres entités décentralisées, afin de satisfaire leurs intérêts propres » (M.-C. Rouault, 2018, p.114). 

Il faut relever que d’après cette définition, les entités administratives ne sont pas toujours gérées par des organes élus. Par exemple le DG de l’hôpital n’est pas forcément élu, ou les responsables de certaines autorités administratives indépendantes ne sont pas forcément élus. L’emploi du terme « souvent » montre en effet que ce n’est pas toujours le cas. Le pouvoir administratif est réparti entre les organes centraux et des entités territoriales et des services bénéficiant à son égard d’une forte autonomie.  Donc ce sont des pouvoirs publics car il se sont vus confiés le service public de la formation supérieure. Or parmi les détenteurs du pouvoir public il y a les autorités politiques détentrices du pouvoir politique et administratif et les autorités administratives détentrices des pouvoirs administratifs seulement. Les autorités administratives sont des organes investis d’un pouvoir de sorte administratif à en croire le Vocabulaire juridique (2005, p. 94). 

Une distinction fondamentale doit être réalisée entre les personnes publiques et les autorités administratives. La compréhension de cette distinction conditionne la compréhension même du droit administratif et la question qui nous intéresse pour cet article.

Une personne publique ou personne morale de droit public (les deux termes sont équivalents) est une personne juridique (par opposition à une personne physique) soumise à un régime de droit public.
Une autorité administrative est une ou plusieurs personnes physiques adoptant un acte administratif.
Trois axiomes peuvent être appris, permettant de ne pas commettre d’erreurs : 1. Une autorité administrative est toujours incarnée dans une ou plusieurs personnes physiques. 2. Une personne publique ne peut agir que par la volonté d’une autorité administrative. 3. Une autorité administrative est toujours rattachée à une personne publique (P. COSSALTER Oct 20, 2017, cfja.eu).

Force est cependant de constater qu’entre les autorités administratives et les autorités politiques, les seconds représentent le peuple et donc leurs actions sont légitimées par le suffrage du peuple qui les a élues, les premiers représentent l’Etat, son administration, donc elles doivent se justifier face à l’administration de l’Etat qui les a mandatées. Celle-ci peut décider sur son propre choix de les faire élire par les administrés, mais la décision lui appartient de céder cette prérogative aux administrés. La question qui nous vient à l’esprit est celle de savoir si les Recteurs sont des autorités administratives ou politiques ? A coup sur ils ne sont pas là par et pour la conquête du pouvoir et son exercice. S’ils représentent l’Etat, son administration dans les Universités auprès de laquelle ils doivent justifier leur action, au nom de quoi les enseignants chercheurs devraient ils les élire ? La démocratie ne dit-elle d’élire ses représentants ? Les chercheurs sont-ils représentés par les Recteurs ou par le SNECS ?  
Le SNECS invoque la DUDH pour fonder ses prétentions quant à l’élection des Recteurs.
La DUDH dispose en son article 21 que « 1. Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis.
2. Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays.
3. La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics, cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote ».

Il convient de remarquer que plus que la participation à la direction des affaires publiques qui est dans notre cas assurée par les dirigeants élus du peuple suite à des élections démocratiques, c’est l’accès aux fonctions publiques (en l’occurrence de Recteur) qui doit être assurer dans des conditions d’égalité. Aussi, les termes « pouvoirs publics » sont assez imprécis. A ce titre le Lexique des termes juridiques (2014, p.714) les évoque en tant que « termes souvent employés, bien qu’au contenu juridique assez imprécis, pour désigner les organes de l’Etat, et même parfois ceux des collectivités territoriales. Dans ce sens, on parle aussi d’autorités publiques, encore que ces mots paraissent avoir un contenu encore plus extensif ». A notre sens, il convient d’entendre le termes « pouvoirs publics » employés par la DUDH dans les deux premiers sens énoncés par le Vocabulaire juridique (2005, p. 688) à savoir « les organes ou autorités les plus importantes de l’Etat parce qu’ils participent à l’exercice du pouvoir législatif  et du pouvoir exécutif » ou tout au plus comme « plus généralement, toutes les autorités immédiatement instituées par la constitution (les pouvoirs publics constitutionnels) » et ne pas allez jusqu’à les entendre comme toutes les autorités publiques, ce troisième sens donné par le vocabulaire juridique (G. Cornu, 2005, p.688)  est source de confusion. En effet, le Recteur doit il être considéré comme un pouvoir public ? A notre sens c’est une autorité administrative décentralisée qui assure un service public de l’Etat.

A ce titre, il assure une charge administrative et non un pouvoir politique. En réalité cette question d’élection des Recteurs soulève la question de la confusion des pouvoirs politiques et des pouvoirs administratifs. Confusion emblématique dans nos Etats ou la question de la dépolitisation de l’administration est un vrai défi à relever. COSSALTER nous indique de les entendre à l’aune du deuxième axiome qu’il dégage (Une personne publique ne peut agir que par la volonté d’une autorité administrative) donc comme le moyen par lequel les personnes publiques agissent. C’est-à-dire que l’Etat (gouvernement – ministre) va agir sur l’enseignement supérieur par la volonté des autorité administratives que sont les Recteurs pour mettre en œuvre sa politique.

Bref, qu’à cela ne tienne, admettons que l’on conçoive les autorités publiques dans le troisième sens du Vocabulaire juridique et que donc les Recteurs seraient élus. Ils auront alors une légitimité par ce suffrage. Et par conséquent comme le Président de la République et les députés ils ont une légitimité populaire. Certains disent que c’est bien en soi, que c’est un progrès démocratique, semble-t-il, la DUDH le dit. Il faut à ce propos relever que les extrémismes de n’importe quel nature ne peut être que nuisible. En effet, n’a-t-on pas vu les Etats unis faire la guerre en Irak, en Afghanistan, en Lybie, en Syrie au nom de la démocratie et n’a-t-on pas vu les désastres ainsi causés ? Nous devons dédogmatiser sur ces Déclarations universalistes certaines de leurs valeurs qui ne sont pas Coraniques sinon on risque de voir notre enseignement supérieur complètement par terre au nom d’une prétendue avancée démocratique.

Mieux encore admettons toujours que c’est un bienfait que d’élire les Recteurs. Dans ce cas, comment va s’exercer le pouvoir de tutelle sur ces Recteurs par le Ministre ? En effet, les ministres eux ne sont pas élus ! Le ministre qui n’a pas de légitimité populaire serait -il en bonne posture pour faire une tutelle sur le Recteur légitime et populaire qui ne respecterait pas les orientations de la politique du gouvernement en matière d’enseignement supérieur que le ministre a en charge ?
Rappelons que dans le cadre constitutionnel le Président à un droit de regard sur ce que fait l’Assemblée Nationale et elle sur ce que fait le gouvernement parce que tous ils ont une base de légitimité populaire. Par cette élection des Recteurs en serait-il ainsi entre gouvernement et Université ? A notre sens une telle situation ne serait que porteuse de blocage car le Recteur ou le Ministre qui n’ont pas les mêmes aspirations ne saurait s’entendre et c’est l’enseignement qui en prendra un coup.

Et ce bras de fer SNECS – Gouvernement  témoigne de l’absence de frontière dans l’esprit collectif entre les fonctions administratives et politiques même si par nature les deux peuvent s’imbriquer des fois. On peut admettre qu’entre les deux la frontière est nette mais poreuse. Ce qui laisse la possibilité d’interpénétration. Ce qu’en disent les publicistes est vivement attendu sur la question.  
Dans ce bras de fer, le gouvernement semble faire fi du fait qu’il lui revient d’établir un climat de dialogue car il est l’initiateur des réformes envisagées. Celles-ci ne peuvent en effet se faire sur l’enseignement supérieur en excluant les enseignants chercheurs. C’est pourquoi comme l’a si bien dit le Professeur Abdo Serki, « il doit convaincre les enseignants-chercheurs » de la justesse et de la nécessité de ses réformes et non pas s’adonner à l’imposition d’un diktat. 

De son côté le SNECS nous donne l’impression de combattre par crainte de voir compromis par une éventuelle remise en cause ses acquis statutaires. Ne devrait-il pas attendre une atteinte effective pour protester de la sorte et non partir en guerre (grève de presque trois mois) sur de simple appréhension, sur des procès d’intention au gouvernement. En effet si la crainte s’avère fondée ne leur suffit-ils pas d’invoquer l’article 77 de la Recommandation de l’UNESCO concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur (Résolution UNESCO 11novembre 1997) qui dispose : « Lorsque le personnel enseignant de l'enseignement supérieur jouit dans certains domaines d'une condition plus favorable que celle qui résulte des dispositions de la présente Recommandation, ces dispositions ne devraient en aucun cas être invoquées pour revenir sur les avantages déjà accordés ».
Les victimes principales de la crise, sont sans nul doute les pauvres étudiants. Ceux-ci au lieu de scander infatigablement les mêmes slogans doivent saisir l’occasion et mettre chacun de ces protagonistes face à ses responsabilités. En effet cette situation leur est préjudiciable à divers titres et le gouvernement tout comme le SNECS doivent être appelés à répondre de leurs actes. Certes la grève est un droit mais même les droits sont sources de responsabilité lorsqu’on en abuse. Car l’abus est une faute et notre droit ne dit-il pas que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (Article 1382 du Code civil).
Il faut enfin noter qu’au moment ou le système démocratique n’a plus de zones d’ombre sur ses insuffisances, il est incompréhensible que l’intelligentsia nationale continue à y voir une panacée dont la préservation mérite de compromettre l’avenir de nos étudiants, comme si avec l’élection des Recteurs nous aurons plus de salles de cours et d’amphithéâtres, plus de bureaux et de bibliothèques, plus de centres de recherche ou de Revues…   

Dr. Chaibou Dan Inna Bachir

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