Le Mali vit une double crise sans pareille depuis
plusieurs mois. La Cedeao qui s’est invitée au chevet de ce pays voici, elle, a
trouvé la solution a adéquate à la crise de ce pays. Pour mieux comprendre le «
problème malien », Le Nouveau Courrier a rencontré un des acteurs-clé de la vie
politique dans ce pays, en l’occurrence le docteur Oumar Mariko, secrétaire
général du parti Sadi (solidarité africaine pour la démocratie et
l’indépendance), par ailleurs vice-président de l’Assemblée nationale et tête
de file de la mobilisation populaire pro Cnddre (junte au pouvoir). Il livre
ici la face cachée de la double crise que vit son pays et l’implication de
certains pays de la Cedeao, notamment la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Avec
la fameuse histoire de mercenaires livrés par ces deux pays pour déstabiliser
la junte militaire au pouvoir. Entretien !
Qui est ce
Docteur Mariko que tant de monde aime détester ?
Je suis
simplement un anticonformiste qui est un peu triste face aux problèmes auxquels
sont confrontés les peuples malien et africain. Et qui se bat du côté de la
justice, de l’équité et de l’égalité. Dans un monde établi comme le notre où la
justice et la vérité sont forcément partisanes, il est difficile de s’en
accommoder. Et quand on ne s’en accommode pas pour un homme comme moi, tous les
feux sont braqués sur votre personne. Je suis dirigeant du parti politique
Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance (Sadi), j’en suis le
Secrétaire général chargé des relations extérieures, je suis par ailleurs
député, vice-président de l’Assemblée nationale du Mali. Et aussi président du
Groupe d’amitié avec le Cuba et le Venezuela.
Le parti
Sadi est un parti de gauche qui est né en 2001 avec toutes ses dents. Ce qui
veut dire que nous avons un long passé de lutte derrière ; de lutte pour
l’émancipation du peuple malien, pour la solidarité en Afrique et pour la
souveraineté des peuples africains.
C’est pour
cette raison que j’ai toujours fait mienne la formule du leader politique
malien mort dans les années 1944-1945 en France, Tiemoko Garan Kouyaté, qui
parlait de l’Union libre des peuples libres d’Afrique. Il faut donc être
véritablement panafricaniste, mais un panafricanisme des peuples et non des
chefs d’Etat. Ces derniers temps, on parle de moi comme on a beaucoup parlé de
moi en 1990-1991.
Et pourquoi
a-t-on beaucoup parlé de vous en 1990 ?
En
1990-1991, j’étais leader de mouvement estudiantin (l’Association des élèves et
étudiants du Mali). Et à cause de notre combat pour une école démocratique
accessible à tous les enfants du Mali, nous avons eu droit à une réaction
sourde des dirigeants de l’époque qui nous ont tout de suite assimilés à des
mouvements politiques clandestins manipulés par l’Occident mais ils l’ont
appris à leurs dépens. C’est vrai que nous avions payé un lourd tribut, avec
plus de 200 morts suite à une revendication syndicale. Le régime de Moussa
Traoré, qui était vieux de 23 ans à cette période, a tiré sur le mouvement
étudiant dont j’étais le leader. Et l’armée est intervenue après que le peuple
malien, par les femmes, les mouvements des jeunes, le barreau malien, les
associations politiques de l’époque, est sorti. Cela a conduit à la chute du
régime de Moussa Traoré après un grand mouvement insurrectionnel. Finalement,
on a mis en place un comité de transition pour le salut du peuple, dont j’étais
membre, et qui était en quelque sorte un pré-parlement qui devrait remplacer
l’Assemblée nationale du Mali de Moussa Traoré qui venait d’être dissoute.
J’ai fait
partie de ce comité dont Amadou Toumani Touré (Att) était le président. C’est
le fait d’avoir conduit un mouvement aussi fort que celui de la jeunesse
malienne, d’avoir subi la répression pendant trois jours successifs, d’avoir
tenu bon, d’avoir occasionné la chute du régime de Moussa Traoré et d’avoir -
avec les forces politiques - proclamé le multipartisme au Mali qui m’a fait
connaitre au Mali et sur le plan international.
Et pendant
dix ans, je n’ai jamais été d’accord avec les régimes d’Alpha Oumar Konaré et
d’ATT, après une parenthèse de 5 ans dans son gouvernement. Les jeunes qui ont
suivi le mouvement de 1990-1991 sont restés toujours sans emplois pour la
simplement bonne raison que le système économique choisi par la Mali, qui n’est
rien d’autre que l’application drastique des diktats du Fmi et de la Banque
mondiale, avec à la clé l’enrichissement des dirigeants, n’a pas permis la
création d’unités de production ni d’investissements devant favoriser la
création d’emplois. La corruption a pris des proportions inégalées en
république du Mali. Alpha Oumar Konaté, la note qu’il a apportée au régime de
Moussa Traoré en matière de corruption c’était l’impunité et ATT, c’était le
je-m’en-foutisme. C’est-à-dire tout le monde pouvait faire n’importe quoi, pour
vous dire l’ampleur de la corruption au Mali. Pour être magistrat, il fallait
payer 3 millions de Fcfa, pour être recruté à la police, il faut payer entre 1
à 2 millions de Fcfa, pour être recruté dans l’armée il fallait payer ou pour
les filles, il fallait se soumettre au droit de cuissage.
On a assisté
à des recrutements de gens handicapés physiques dans l’armée, la police et la
gendarmerie malienne et je n’exagère pas. C’est tout cela qui a fait que nous
avions pris du recul vis-à-vis du régime de ATT. Et en 2007, nous nous sommes
retrouvés dans l’opposition. Nous étions donc la seule force de l’opposition au
Mali.
Et qu’est-ce
qui fait qu’aujourd’hui on parle encore autant de vous ?
C’est parce
que tout simplement, deux situations se sont présentées au Mali. Nous sommes en
fin de règne du régime de ATT qui devrait normalement, je dis bien normalement,
organiser les élections le 29 avril 2012. Et le Mali se trouve dans la guerre.
Une guerre qui fait ravage dans le nord, avec une partition du pays. Nous nous
sommes retrouvés dans cette situation de guerre qui est la conséquence de la
mauvaise gestion du dossier du nord Mali par Alpha Oumar Konaré et Amadou
Toumani
Touré. Parce qu’ils ont eu en commun deux méthodes pour gérer la situation de
cette région du pays. La première méthode, c’est la corruption des dirigeants
de la rébellion au nord qui recevaient des tonnes d’argent qui leur
permettaient d’être toujours en demande et de s’organiser en conséquence.
La deuxième
chose, c’est le fait qu’à chaque fois qu’une crise pointait à l’horizon, on
poussait les communautés à s’affronter à travers des milices touarègues et
arabes. Et l’armée malienne apparaissait comme cocufiée dans ces situations-là.
Ca a été les méthodes avec lesquelles les présidents Oumar Konaré et ATT ont
géré le dossier du nord Mali. Cette situation va se retrouver aggravée avec la
guerre en Lybie, occasionnée par l’Otan. Et qui a fait que les Tamancheks ont
abandonné l’armée de Kadhafi suite à des pressions ou à des négociations qu’ils
ont eu avec la France, l’Otan, etc. Et ce, en compensation du territoire du
Mali. Cette thèse devient de plus en plus plausible et claire pour ceux qui ne
croyait pas jusque-là. Finalement, la rébellion au nord Mali s’est reconstituée
avec une armée très forte, puissante, au moment où l’armée malienne était en
manque de tout : armement, renforts sur le terrain, ravitaillement....
Toutes les bases militaires les plus fortes du Mali sont tombées les unes après
les autres aux mains de la rébellion. Alors que fallait-il faire ?
D’un côté,
on avait un régime qui ne s’apprêtait pas à quitter contrairement à tout ce qui
se raconte. ATT ne s’apprêtait pas à quitter le pouvoir. Jusqu’en 2010, ATT
avait toujours des velléités de briguer un troisième mandat. En 2011, lorsqu’il
a réussi à mettre la quasi-totalité des partis politiques avec lui, il avait
encore l’espoir de briguer un troisième mandat. La conséquence d’une telle
attitude a fait que pendant tout ce temps, ils n’ont pas préparé les élections.
Un des gros problèmes du Mali en matière électorale, c’est le fichier
électoral. Toute la classe politique sans exception, y compris ATT lui-même,
était arrivée à la conclusion qu’il fallait organiser des élections avec un
système de fichier numérique. Ce qui diminuerait considérablement la fraude.
L’Etat a investi 9 milliards de Fcfa. En 2011, on vient nous dire que ce
fichier numérisé ne peut plus être à l’ordre du jour, sans autre explication.
L’explication est qu’on n’a pas suffisamment d’argent, mais on avait déjà
englouti 9 milliards de Fcfa. Et ce qui restait à investir ne valait même plus
la moitié de ces 9 milliards de Fcfa. Donc l’Etat a abandonné cela pour aller
sur l’ancien fichier sur lequel ATT a été élu et qui, pourtant, a été contesté
par la Cour constitutionnelle sans qu’elle ne remette en cause, hélas,
l’élection.
On est donc
revenu à ce fichier-là et curieusement tous les partis politiques qui sont
rentrés dans le gouvernement ont abandonné leur idée première qui consistait à
aller avec le fichier numérique. Ils ont donc sacrifié ce fichier-là sur
l’autel des négociations politiques de coulisse, à l’exception de notre parti.
Nous avons refusé et nous avons tenu à ce que le fichier des élections soit
numérique.
On s’est
également rendu compte que lors de la mise sur pied de la Commission électorale
nationale indépendante (Ceni), l’opposition a été servie à la portion congrue.
Sur 15 membres de la Ceni, on a réservé une seule place à l’opposition. Nous
avons donc esté en justice contre l’Etat pour contester la validité de cette
décision. L’Etat avait mis quelqu’un qui est de la majorité présidentielle à la
place qui nous revenait au sein de la Ceni. Aussi cette Ceni, installée de
cette manière-là, ne contrôlait pas les opérations d’inscription et de
radiation sur les listes électorales. La Ceni a été mise sur place après que
l’Etat a terminé les opérations d’inscription et de radiation sur les listes
électorales. Et dans beaucoup de mairies, les gens se plaignaient.
C’est donc
dans un tel contexte que survient le coup d’Etat ?
Exactement !
Et dans ce contexte, les élections ne devraient pas se tenir même si le
président ATT continuait de dire qu’elles se tiendraient. Mais plus grave
encore, c’est que le nord du Mali était occupé et les militaires avaient
commencé à refuser d’aller au front. Parce qu’ils ne comprenaient plus ce que
leur commandement voulait vraiment. Parce qu’il y avait en définitive trois
armées avec deux commandements différents en face des rebelles. Il y avait
l’armée régulière commandée par le chef d’état-major des armées qui se trouvait
à Gao (Nord du Mali). Il y avait une milice arabe et une milice touarègue dont
le commandement était assuré par ATT lui-même à Bamako. Si bien que les ordres
n’étaient pas cohérents. Il y avait même des ordres et des contre-ordres. C’est
cette situation que vivaient les militaires sous-équipés.
L’armée n’ayant
pas compris le sens du combat, des combattants rebelles arrivaient à les
vaincre à chaque fois, leur disaient : « Vous perdez votre temps,
nous avons acheté le nord du Mali. Demandez à ATT, demandez à Kadhafi ».
Vrai ou faux ? En tout cas, ces informations ont fait que l’armée s’est
interrogée sur la signification de la lutte qu’ils étaient en train de mener.
Et c’est ainsi que les militaires sont arrivés à demander au Haut commandement
de leur donner des explications sur la question. Mais avant, le 9 février
dernier, notre parti ayant pris la mesure de la situation, avait déclaré que
ATT avait trahi son serment de défendre la Nation et qu’il devrait partir. Et
surtout qu’il avait déclaré que l’électorat du nord ne représentait que 2% des
électeurs et qu’on pouvait s’en passer. Les organisateurs des élections, eux,
disaient qu’on pouvait prendre les urnes pour aller retrouver les Maliens qui
étaient déjà en exil en Algérie, au Niger, en Mauritanie et au Burkina Faso.
Pour toute
cette situation, le Bureau politique avait pris la décision de retirer la
candidature de notre parti qui n’était autre que la mienne aux futures
élections présidentielles. La validation de cette décision devrait se faire le
24 mars dernier par le comité central de notre parti, quand le 22 mars dernier,
les militaires ont pris les armes, après avoir échoué dans les discussions avec
le ministre de la Défense. Le haut commandement dirigé par ATT n’a pas voulu
rencontré les militaires et ce dernier a pris la fuite à la nuit tombée. C’était
donc le coup d’Etat.
Nous avons
soutenu ouvertement le coup d’Etat comme étant un acte salutaire sur lequel il
faudrait se baser pour faire revenir la démocratie au Mali, parce qu’au Mali on
était dans un mirage démocratique et non dans la démocratie. Alors le fait
d’avoir pris position pour soutenir le coup d’Etat a suscité le branle-bas au
sein du dogmatisme antiputsch en Afrique, en Europe qui fait du coup d’Etat un
crime. Alors que la fraude électorale n’est pas perçue comme un crime, la violation
de la constitution n’est pas perçue comme un crime, le hold-up électoral pour
accéder au pouvoir n’est pas considérer comme un crime, les détournements de
deniers publics ne sont pas considérés comme des crimes, encourager le
terrorisme et les narco-trafics au nord Mali n’est pas considéré comme un
crime. Permettre que des armées mauritanienne et française pénètrent le
territoire malien pour aller tuer des gens, à l’insu du chef de l’Etat malien,
n’est pas considéré comme un crime, comme une atteinte à la souveraineté du
Mali.
Je le dis et
je le répète, je suis un anti-conformiste. Pour moi, ce ne sont pas les
principes qui dirigent la vie, mais plutôt la vie qui commande les principes.
Et étant partisan de la dialectique, je dis que ce coup d’Etat nous a libérés
du mirage démocratique et replace le problème dans son contexte ; à savoir
la quête de la démocratie pour les peuples maliens.
Au-delà du
dogmatisme anti-putsch, est-ce que vous n’avez pas l’impression que votre
activisme met en danger un certain plan de la question de la gestion du nord et
de la gestion de la transition malienne ?
Je ne suis
pas un activiste. Dans la situation actuelle, je n’ai fait que cautionner un
coup d’Etat que j’ai considéré comme salutaire. Mais ce qu’il faut savoir, ce n’est
pas le coup d’Etat qui met en danger la question du nord ou qui met la Cedeao
sur le dos des Maliens. D’abord le coup d’Etat qui a eu lieu, c’est pour que
l’armée puisse reprendre son droit de cité afin d’avoir un commandement
cohérent, avoir les moyens nécessaires de faire face justement à la crise du
nord. C’est ainsi qu’il faut comprendre les choses. Ceux qui ont fait le coup
d’Etat ont été très clairs. Ils disent n’avoir pas d’ambition de pouvoir sinon
que d’organiser des élections, régler la question du nord et c’est tout. Pour
redresser la démocratie comme ils le disent. Alors ce sont les anti-démocrates
qui, dans la réalité, sont en ce moment contre.
Comment vous
interprétez le jeu de la Cedeao dans la crise malienne ?
Ce qui nous
a surpris, meurtris et scandalisés c’est l’attitude de nos frères africains de
la Cedeao, notamment les dirigeants, les chefs d’Etat de la Cedeao. J’avoue que
je cherche toujours à comprendre leur attitude. Je n’ai pas envie d’aller dans
les explications faciles qui consistent à dire qu’en réalité, ils s’agitent
pour eux-mêmes. La réaction de la Côte d’Ivoire d’Alassane Dramane Ouattara a
été une réaction hors proportion, illégale et illégitime. Parce que lorsqu’un
évènement de cette nature arrive dans un pays agressé, divisé, et qu’avant le
coup d’Etat on n’a entendu ni Alassane Dramane Ouattara ni la Cedeao déplorer
ce qui se passe au nord Mali, la logique voudraient qu’ils n’affichent pas
arrogance et suffisance. Et s’illustrent par une attitude condescendante. A un
moment donné, les rebelles ont proclamé l’indépendance de l’Azawad sur le
terrain, et ATT est allé pour avoir le soutien de l’Union africaine (UA). La
Cedeao ne s’est pas manifesté outre-mesure. Et immédiatement quand survient le
coup d’Etat, voilà la Côte d’Ivoire qui ferme ses frontières, la Bceao qui
ferme ses portes. Une sanction qui n’existe nulle part dans les textes de la
Cedeao tombe sur le Mali : l’embargo.
J’ai entre
les mains le document qui parle du règlement des conflits et de la rupture de la
démocratie dans la sous-région. Nulle part il n’est dit que la Cedeao doit
prendre des mesures de rétorsion comme l’embargo contre un pays. Je pense que
c’est une sanction qui a été prise en dehors des textes réglementaires de la
Cedeao. Je ne comprends pas personnellement jusqu’à ce jour, pourquoi Alassane
Ouattara s’est fait le chantre d’une telle politique contre la république du
Mali, contre le peuple du Mali. Disons que c’est un peu la suite de la recette
utilisée en Côte d’Ivoire durant la guerre post-électorale… Notamment la
fermeture de la Bceao.
Peut-on
penser à une nouvelle doctrine ?
Vous savez,
c’est une nouvelle doctrine qu’on nous amène et qui est en dehors des textes
qui régissent les Institutions sous-régionales. On ne peut pas vouloir donner
un modèle à d’autres, lorsqu’on ne respecte pas soi-même les textes qui
régissent les Institutions qu’on dirige. Les textes de la Cedeao ou de la Bceao
ne sont pas des textes de répression. Cette nouvelle mode de sanctions et
d’embargo de toutes sortes, à mon avis, va briser la fraternité
institutionnelle entre les pays africains si on n’y prend garde. Si on nous met
la pression de cette manière-là, qu’est-ce que cela nous coûte de quitter
demain la Cedeao ? Je pense que quand il y a de telles situations dans un
pays les gens doivent s’asseoir et discuter. Et c’est pourquoi, j’étais
partisan de la proposition du président Laurent Gbagbo qui souhaitait le
recomptage des voix. Parce que je me disais qu’il y a deux choses qu’on peut
percevoir dans sa proposition. Soit ce monsieur n’a réellement pas perdu les
élections, soit il n’a pas conscience qu’il a perdu les élections. Mais si le
décompte à nouveau des voix pouvant permettre qu’un seul Ivoirien ne meure, je
pense qu’il fallait accepter cette méthode-là. Mais on l’a refusée et on a
baigné la Côte d’Ivoire dans le sang humain. Donc, je dis que nous devons tirer
les leçons de tout cela en Afrique. Lorsqu’un conflit éclate, il faut écouter
toutes les parties. Ça n’a pas été le cas dans la crise malienne. Ils n’ont pas
instauré de dialogue. Ils sont venus voir les militaires et ils leur ont sorti
leur texte pour les condamner. Et bien sûr, ils leur ont demandé de plier
bagages. La Côte d’Ivoire est allée plus loin avant même les réunions de la
Cedeao.
Voulez-vous
dire que la Côte d’Ivoire a fermé ses frontières avant les décisions de la
Cedeao ?
Absolument !
La Côte d’Ivoire avait fermé sa frontière avant même que la Cedeao n’ait
décidée quoi que ce soit. On ne sait plus vraiment si la Cedeao est africaine
ou si c’est la Cedeao de la France, de l’Union européenne ou des Nations Unies.
Je crois que leur pratique prouve que c’est plutôt ça. Quand les émissaires de
la Cedeao sont arrivés au Mali, lorsqu’ils étaient à court d’arguments au cours
des échanges, ils disaient que ce sont les Nations Unies qui ne veulent pas ça,
c’est l’Union européenne ou la France qui ne veut pas de ceci ou de cela. Et à
chaque fois quand ils évoquaient des dispositions constitutionnelles et qu’on
leur démontrait les limites de cette constitution-là, ils avaient toujours la
même phrase : « C’est le contexte international qui nous demande de
vous imposer ceci ou cela, etc. ». Même l’instrument qu’est la CEDEAO est
au service de la France, de l’UE et des Nations unies. Finalement, les chefs
d’Etat deviennent des marionnettes.
A votre
avis, pourquoi Alassane Ouattara, Blaise Compaoré s’évertuent-ils à imposer une
solution que vous jugez non applicable au Mali ?
Avec
l’évolution de la chose, il y a deux situations. Il y a eu un coup d’Etat qui
est même proscrit dans la constitution du Mali. Tout comme les élections
frauduleuses sont proscrites, mais ce n’est pas condamné dans la constitution
comme le coup d’Etat. Mais il y a la légalité constitutionnelle et la
légitimité populaire. Le coup d’Etat du 22 mars dernier a bénéficié de la
légitimité populaire pour deux raisons. Il y a eu la légitimité des militaires
qui se sont soulevés contre leur commandement. Peut-être que si ATT était
resté, il n’y aurait pas eu de coup d’Etat, mais il est parti. Il a donc créé
un vide qui s’est transformé effectivement en un coup d’Etat.
Deuxième
chose, l’Assemblée nationale du Mali qui est la représentation de la légalité
populaire a appelé les Maliens à s’opposer au coup d’Etat, mais le peuple
malien est sorti dans les rues pour aller soutenir les putschistes. La
légitimité populaire avait pris le dessus sur la légalité constitutionnelle,
parce que les institutions étaient complètement paralysées. Dans un tel
contexte, il n’y a que la discussion, la mise ensemble des acteurs et des
propositions de sortie de crise qui peuvent marcher. Ce n’est pas le couperet.
Malheureusement, la Cedeao a choisi de nous mettre le couperet sous la gorge.
Maintenant,
la Cedeao nous a fait venir à la légalité constitutionnelle et les militaires
se sont imposés un recul politique. Avec un discours minutieusement rédigé par
les émissaires de la Cedeao et que devrait seulement se contenter de lire le
Capitaine Amadou Sanogo (chef de la junte militaire malienne). Disant qu’on retourne
à l’article 36 de la constitution (le président de l’Assemblée nationale
devient le président par intérim pour organiser les élections présidentielles).
Et qu’on organise une convention pour que tous les acteurs se mettent ensemble
pour la sortie de crise. Selon donc la constitution malienne, le président
intérimaire n’a pas pouvoir de nommer un Premier ministre, proposer un
gouvernement ni de dissoudre l’Assemblée nationale. Il ne peut non plus appeler
à un referendum ni prendre des pouvoirs exceptionnels. De ce point de vue, ça
veut dire que le rôle du président intérimaire est très limité, à savoir
organiser des élections présidentielles auxquelles il ne participe pas. Par
ailleurs, selon notre constitution, le président intérimaire a entre 21 et 40 jours
pour l’organisation desdites élections. Le président intérimaire a violé la
constitution en prêtant serment (ce qui est anticonstitutionnel, seul le
président élu prête serment) et la deuxième chose, il n’abandonne pas ses
postes électifs. Pour tous ceux qui vendent la démocratie malienne, pour tous
ceux qui appelaient à un retour à la constitution, il était donc facile pour le
président intérimaire d’organiser ces élections présidentielles.
Qu’est-ce
qui empêche le président intérimaire d’organiser les élections ?
Deux raisons
essentielles l’ont empêché de le faire. Parce qu’il y a un marché de dupes
entre la Cedeao et le président intérimaire contre le peuple malien. Le
président intérimaire ne pouvait pas organiser les élections pour deux raisons.
D’abord le fichier électoral n’était pas prêt. La deuxième raison, c’est que le
nord Mali est occupé. Dès cet instant-là, l’intérim était mort le jour de sa
naissance.
Qu’est-ce
qui restait donc à faire ?
C’était de
tomber sous le coup du point II de l’accord entre la Cedeao et les militaires.
A savoir, organiser une convention. Blaise Compaoré avait convoqué les acteurs
de la crise malienne à Ouagadougou. Où il était convenu que la classe politique
se retrouve pour débattre.
A Ouaga, il
s’est trouvé une difficulté. Puisque le président intérimaire ne pouvait pas
signer d’acte de nomination d’un Premier ministre, alors qui devrait le
faire ? Dans l’accord cadre, c’est le président du CNRDRE (junte
militaire), le capitaine Sanogo, et le président du Faso, Blaise Compaoré qui
devraient suivre l’évolution de l’application de l’accord cadre. Le président
du CNRDRE et le président du Faso devraient co-signer l’acte de désignation
d’un Premier ministre. Mais tous les acteurs de la scène politique malienne ont
convenu qu’il n’était pas question qu’un président d’un autre pays signe le
décret de nomination d’un gouvernement du Mali. Normalement c’est le président
du CNRDRE qui devrait signer, mais on lui a retiré ce privilège-là. En
définitive, on a autorisé le président intérimaire à signer l’acte de
nomination du Premier ministre.
Ce qu’il
faut noter, c’est que ce n’est ni le président intérimaire ni la Cedeao qui a
choisi le Premier ministre, ce sont plutôt les militaires qui ont eu ce
privilège. On a donc demandé simplement au président intérimaire d’apposer sa
signature. Ce qui pouvait mettre fin à tout cet imbroglio, c’était la
concertation au Mali de tous les acteurs politiques, pour choisir les organes
de la transition. Et c’est là où la Cedeao a failli. Elle a voulu simplement
imposer des acteurs politiques dont l’implication a été reconnue dans la
situation de dégringolade et de corruption qu’a connue le Mali. Les gens de la
Cedeao voulaient placer les mêmes personnes au pouvoir. Ils ont donc imposé un
président de la transition, en dehors des accords.
C’est ce qui
a suscité la furie du peuple malien contre le président intérimaire, contre la
Cedeao. Ce qu’on peut retenir de cette impasse, c’est que la Cedeao ne s’est
pas montrée comme étant un instrument de paix, de conciliation des positions
pour éviter que le Mali ne tombe dans une situation chaotique. Bien au
contraire, la Cedeao a créé le chaos en république du Mali.
On a
beaucoup parlé de la question des mercenaires, qui seraient venus de la Côte d’Ivoire
et du Burkina, lors de la tentative de renversement du CNRDRE. Est-ce une
information sérieuse ?
L’information
est très sérieuse. Ce qui s’est passé cette journée du 30 avril 2012. Il y a eu
deux situations. La première c’est que des étudiants ont été payés et nourris
de rumeurs, selon lesquelles moi, le Dr Mariko, a tenté de faire assassiner le
Secrétaire général de l’AEEM (Association des élèves et étudiants du Mali). Qui
lui-même a simulé son agression, en mettant des balles dans sa voiture, pour
faire croire qu’il a été victime d’attentat. La nuit du 29 au 30 avril 2012, on
met des véhicules de type 4x4 à la disposition des étudiants qui vont à
Koutchala, à 400 km de Bamako, pour manifester contre notre radio, la
« Radio Kaïra » de Koutchala qui a été complètement détruite et
incendiée. Et dans toutes les localités où il y a des radios Kaïra, ils ont
envoyé des émissaires pour s’attaquer à ses locaux et installations. A Bamako,
les gens ont reçu 5000 Fcfa chacun pour aller détruire la radio Kaïra. Parce
que ces radios appartiennent au Dr Oumar Mariko. Parce qu’on a simplement
soutenu le coup d’Etat comme étant salutaire. A Bamako, grâce au Groupement
mobile de sécurité (Gms), nous avons été sauvés. Les commissariats les plus
proches de nous n’ont fait le déplacement qu’après que le Gms a maitrisé la
situation aux environs de 13h.
Et vers 15h,
une autre information nous parvient. A savoir que le Bataillon des
parachutistes est rentré en dissidence et est en train de prendre position.
Après avoir appris que les Bérets verts de Kati voulaient attaquer les bérets
rouges, qui seraient restés fidèles à ATT et déloger les commandos
parachutistes. Quand les Bérets verts du capitaine Sanogo ont appris cette
information, ils ont envoyé deux émissaires chez les commandos parachutistes
pour les rassurer qu’il n’en était rien et que c’était juste des rumeurs sans
fondement. Les deux émissaires de Kati ont été immédiatement arrêtés par les
Bérets rouges. Et aux environs de 17h, des armes crépitent un peu partout dans
la ville. Et Rfi couvre en disant que « le Bataillon des parachutistes
(les Bérets rouges) est rentré en rébellion contre la base de Kati, où se
trouve la junte militaire, qu’une colonne se dirige vers Kati pour aller
maitriser le capitaine Sanogo et qu’une deuxième colonne partait pour occuper
l’ORTM (la radio et télé d’Etat) et qu’une troisième colonne se dirigeait vers
l’aéroport ». Rfi a donné ces informations d’une précision inégalée.
Effectivement, c’est ce qui s’est passé ce jour-là ; de 17h jusqu’à 23h –
minuit, les armes crépitaient partout. Il se trouvait qu’effectivement des
mercenaires venus de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, du Sénégal, du Nigeria,
soutenus par une portion de Bérets rouges avaient pris position dans le pays.
Et il y avait deux commandos parachutistes qui avaient été désignés pour me
liquider.
Et comment
je l’ai su ? Lorsque les combats faisaient rage aux environs de 21h, mon
téléphone sonne. Au bout du fil, quelqu’un m’informe de la part de deux
commandos parachutistes qui avaient été désignés pour venir me liquider. Ils
ont demandé à bouger de là où je suis. Puisqu’eux avaient été préalablement
désignés pour aller me liquider avant que la mission ne soit confiée à
d’autres, et qu’ils sont en ce moment en mauvaise posture.
Pour revenir
à la question des mercenaires, effectivement ce n’étaient pas des rumeurs. Des
mercenaires burkinabè, ivoiriens ont été arrêtés, avec leurs pièces d’identité.
Beaucoup parmi eux aussi ont péri. L’armée malienne a maitrisé la situation. Il
est arrivé un moment où tous les techniciens et journalistes de la radio
nationale avaient disparu, alors le capitaine Sanogo n’avait pas d’autre voie
de recours que la radio Kaïra sur laquelle il est intervenu pour rassurer les
populations. Ce qui, selon mes détracteurs, consacre encore les liens entre le
Dr Oumar Mariko du parti Sadi, la radio Kaïra et les militaires. Cette fois-ci,
curieusement la Cedeao n’a pas levé le doigt pour condamner cet autre putsch.
Est-ce que
les autorités maliennes ont demandé des comptes à la Côte d’Ivoire et au
Burkina sur la présence des mercenaires ?
Vous savez
c’est une situation confuse. Parce que des soupçons pèsent sur le gouvernement
de transition et sur le président intérimaire. Mais comme les militaires n’ont
pas étalé les choses pour
l’instant,
il y a eu des inculpations. Attendons donc de voir la suite. Mais une chose est
sûre, c’est que de tous ces pays indexés dans le convoyage des mercenaires,
aucun n’a condamné fermement cette attaque-là. Il y a eu juste un communiqué
banal et laconique qui a été produit 72h après l’attaque. Alors que le pays a
enregistré des morts.
Aujourd’hui
quelle est la situation au Mali ou si vous voulez qui tient les rênes du
pouvoir au Mali ?
Les rênes du
pouvoir au Mali se trouvent entre les mains du CNRDRE (la junte militaire). Ce
sont les militaires qui ont la légitimité populaire, ce sont eux qui ont les
armes, ce sont eux qui ont en réalité le pouvoir. Le président intérimaire a
été victime d’une agression et donc il n’est pas sur place. C’est le Premier
ministre qui est là avec le président du CNRDRE qui continue d’assurer ses
fonctions de président de la CNRDRE. On est dans une situation quelque peu
confuse, mais la réalité du pouvoir se trouve entre les mains des militaires.
Certains
vous accusent d’avoir été justement derrière l’agression du président
intérimaire.
C’est triste
que l’on m’accuse de telle manière. On m’a si bien accusé que ceux qui ont
voulu me convoquer à la gendarmerie ont oublié que j’étais membre du Parlement
et vice-président de l’Assemblée nationale. Nous avions une convention des
forces vives. Et ce même jour, il s’est trouvé que d’autres avaient organisé
une marche sur le palais de Koulouba (présidence malienne). L’un dans l’autre,
nous sommes devenus aux yeux de certains les commanditaires de ce qui s’est
passé au palais. Ce que nous avons appris, c’est qu’environ 30000 personnes
sont descendues dans les rues de Bamako et des gens sont montés à Koulouba (la
présidence) pour aller demander la démission de Dioncounda Traoré, le président
par intérim, pendant ce temps-là, nous étions en convention au palais des
congrès qui était bondé de monde.
Avant qu’il
n’aille à Abidjan rencontrer Alassane Ouattara, un mouvement constitué d’à peu
près 10.000 personnes s’était rendu au palais de Koulouba pour le rencontrer.
Et lui demander de démissionner à la fin de son intérim. Il leur a dit qu’il
voulait même démissionner bien avant et que c’est le Premier ministre qui l’en
a empêché. Il les a rassurés qu’il démissionnerait donc au terme de l’intérim
constitutionnel. Quand il est parti à Abidjan et qu’il y a eu une déclaration
demandant de le soutenir et annonçant des forces pour sécuriser la transition
et son président, alors que jusque-là il était question d’envoyer des troupes
pour le nord Mali, le peuple malien s’est senti indigné.
Alors le 21
mai, ce mouvement-là s’est rendu à la présidence pour aller lui demander de
céder son poste. D’après le compte rendu qui nous a été fait, il leur a dit
qu’il allait démissionner le lendemain à 11h. Quand ce mouvement s’est retiré,
il se trouvait qu’il y avait d’autres mouvements qui étaient là, qui auraient
forcé la porte et parvenu à tabasser le président intérimaire. J’avoue que
franchement, je minimise un peu ces propos-là. Parce que cette foule qui
tabasse un homme de cet âge, qu’il ne tombe pas dans le coma, je dis
franchement !!! En tout cas, il a été sorti, ils l’ont envoyé à l’hôpital
et ensuite il est allé en France. Et comme il fallait trouver un commanditaire,
ils ont tout de suite pointé le doigt sur nous, allant même jusqu’à dire que
notre radio Kaïra avait incité les gens à attaquer le Palais de Kourouba.
Toutes les émissions sont encore disponibles et aucune d’elles ne contient des
propos d’incitation à quoi que ce soit de subversif. Finalement, on nous dit
que ce n’est plus une agression et que c’est devenu une tentative d’assassinat
du président intérimaire. Nous ne sommes mêlés ni de près ni de loin dans cette
agression de Dioncounda Traoré. Si on veux chercher un commanditaire, c’est
bien la Cedeao. C’est bien elle qui a semé la confusion au Mali et qui a poussé
l’indignation jusqu’à une révolte du peuple malien.
Certaines
personnes disent que vous êtes devenu l’homme à abattre de la Cedeao ?
Je
l’apprends moi aussi. Je l’apprends des amis, des connaissances ou des Maliens
qui sont en Côte d’Ivoire. Et qui disent qu’on parle beaucoup de moi dans les
cercles de Ouattara et de mon très cher ami Soro Guillaume ; que je suis
l’homme à abattre et que des missions expéditives ont été lancées contre moi.
Est-ce des intimidations ou des menaces réelles ? Je n’en sais rien. Mais
c’est bon que cela soit su de tous que ma tête est mise à prix. Mon crime,
c’est d’avoir combattu les régimes d’Alpha Oumar Konaré et ATT, et aussi
d’avoir soutenu le coup d’Etat salutaire. Alors si ce sont des intimidations,
c’est une perte de temps, si ce sont des menaces réelles, je n’ai peur que de
mon peuple !
Source :
Le Nouveau Courrier