dimanche 6 novembre 2011

Jean-Paul Pougala : « L’assassinat de Kadhafi repousse la date de la sortie de la monnaie unique africaine »

Jean-Paul Pougala : « L’assassinat de Kadhafi repousse la date de la sortie de la monnaie unique africaine »

Publié le par aymard sur http://aymard.wordpress.com

En réponse aux questions de Serges Tchaha pour le quotidien camerounais l’ACTU édition du 3/11/2011

1. Dévaluation ou réévaluation du FCFA, quel est le scénario que vous pronostiquez ?

La parité fixe du CFA par rapport au Franc Français d’abord et à l’euro est une conception des plus artificielles. Le problème à mon avis ne se pose pas en terme dedévaluer ou réévaluer le CFA avec les déconvenues de l’Euro, mais de profiter de ce tourbillon pour nous poser les bonnes questions : pourquoi en sommes-nous à ce point de subalternité totale de notre économie où on a complètement renoncer au levier monétaire pour ajuster notre politique économie ? La monnaie est le reflet de l’économie d’un pays ou d’un ensemble de pays. Nous sommes arrimés à l’Euro sans qu’on ait la moindre convergence de nos économies à celles de la France qui nous y a amenés. C’est venu, donc le moment d’arracher cette indépendance monétaire sans laquelle l’indépendance politique est un leurre.

L’assassinat de Kadhafi repousse la date de la sortie de la monnaie unique africaine. Il est dans cette nouvelle donne urgent pour nous de nous doter de notre propre monnaie. Le Cameroun souffre d’un déficit de compétitivité avec notre principal et puissant voisin qu’est le Nigeria à qui nous ne vendons presque rien, alors que nous aurions pu enrichir notre pays grâce au Nigeria voici. Ni nous, encore moins le Benin, le Tchad ou le Niger n’en profite pour une seule et même raison : LE FRANC CFA qui reflète le taux de change praticable en Europe, et le gouvernement Camerounais ou Béninois ne peut nullement jouer sur les taux pour favoriser une quelconque politique d’exportation vers une zone donnée ou de freiner l’importation en provenance d’autres pays, exactement ce que fait le Nigeria aujourd’hui pour pomper des devises en provenances de ses voisins qui ont le Franc CFA, simplement en abaissant le taux de change du Naira quand il le désire. Ce qui donne la fausse impression aux Camerounais et Béninois qui vont au Nigeria de se sentir plus riches, mais qui en définitive signifie que nos pays sont peu attractifs aux Nigérians, parce qu’ils trouvent tout trop cher, à commencer par le prix des chambres d’hôtel.

La deuxième urgence une fois notre monnaie créée doit être de la rendre inconvertible. La convertibilité du Franc CFA est la principale source de corruption et de transfert illicite vers l’étranger de la richesse des pays qui l’utilisent aujourd’hui. C’est le choix de puissants pays comme la Chine et la Russie qui avec leurs monnaies inconvertibles, peuvent ainsi disposer d’un montant très important de devise parce qu’il devient dès lors plus facile d’exercer un contrôle sur tout détournement de fonds qui quitteraient le pays. Lorsqu’une monnaie est non convertible, comme le Yuan chinois, un fonctionnaire ne peut pas virer le moindre centime dans une banque Suisse, parce que lorsque vous quittez le territoire chinois avec vos billets de Renminbi, une fois à Paris ou à New-York, cela se transforme en simple bouts de papiers qui ne valent absolument plus rien du tout. Ce qui dissuade tous les mal intentionnés qui voudraient causer un tort financier au pays.

Le choix de la France de rendre le Franc CFA convertible était une consciente opération de spoliation de ses ex-colonies, ce qui a plutôt bien marché pour elle jusqu’à ce jour. Car les entreprises françaises installées en Afrique constituent pour la plupart des fonds occultes qu’ils rapatrient en France, en échappant au contrôle fiscal des pays africains. Selon les chiffres fournis par la Banque de France, de 1990 à 1993 en seulement 3 ans devant les rumeurs de la dévaluation du Fcfa, ce sont 928,75 milliards de francs Cfa (1.416 milliards d’euros) qui ont quitté allègrement et clandestinement nos pays en Afrique pour la France. C’est à nous, au moment où on réfléchit de mettre sur pied notre propre monnaie d’éviter de répéter les mêmes erreurs.

2. Quelles conséquences pour une éventuelle disparition de l’euro ?

En temps qu’Africain, je ne me sens nullement concerné par une éventuelle disparition d’une monnaie qui sert d’instrument de soumission de toute une partie de l’Afrique, si ce n’est de profiter de son malheur pour faire un vrai sursaut pour créer notre propre monnaie ou d’adhérer à la monnaie Nigériane, ce qui serait plus logique et de loin moins dommageable que le CFA actuel.

La Chine par exemple réussit un tel exploit de s’enrichir sur le dos des Européens, c’est parce qu’elle joue légitimement son jeu de d’utiliser sa monnaie pour rendre ses produits encore plus compétitifs sur les marchés Européens. Le ridicule pour nous c’est que l’Afrique qui n’a rien demandé paye le prix fort de ces manœuvres monétaires chinoises contre les Européens, parce que ces mêmes produits se trouvent aussi chez nous et tout autant compétitifs en Afrique alors que notre niveau de vie est de loin plus bas qu’en zone Euro. Ce qui empêche les producteurs de la zone CFA de résister à la déferlante de produits chinois. Plutôt que d’accuser les Chinois de concurrence déloyale, nous n’avons qu’à faire comme eux, utiliser notre propre monnaie (à créer) pour rendre nos produits compétitifs sur les marchés européens où on pourrait alors songer à des exportations impensables aujourd’hui avec l’arrimage cet arrimage à l’Euro.

La France nous a liés à l’Euro pour être sure que nos éventuelles productions africaines ne pourront jamais menacer l’économie française. Et nous avons naïvement applaudi à cet arrimage sans comprendre les profonds motifs qui animaient son initiateur. Peut-on rester indéfiniment adolescent dans le concert des nations avec des relations figées qui nous sont dommageables au lieu de cibler nos relations saisons par saisons en fonction de nos intérêts du moment. Malheureusement, nous ne pouvons pas quitter le Franc CFA sans l’accord de la France. C’est pour contourner cette arnaque que Kadhafi avait mis le paquet pour la création de la monnaie unique africaine, parce que sur le plan juridique, une juridiction continentale prenant le dessus sur une autre nationale, la France n’aurait plus eu rien pour s’agripper et continuer de nous spolier. Aujourd’hui quoi faire ? Comment conquérir notre véritable indépendance devant cette situation ?

Jean-Paul Pougala

pougala@gmail.com

(*) Jean-Paul Pougala est un Ecrivain Camerounais, Directeur de l’Institut d’Etudes Géostratégique et Professeur de Sociologie et Géopolitique à la Geneva School of Diplomacy de Genève en Suisse.